FLAUBERT ET SON EMMA
Dans le magazine Figaro-Hors série consacré à Gustave Flaubert, la journaliste Isabelle Schmitz a interrogé Yvan Leclerc qui préside les festivités du bicentenaire.
En voici quelques courts extraits qui m’ont intéressée à propos de « Madame Bovary », dont le personnage central « Emma » est quelqu’un que je ne supporte vraiment pas.
Yvan Leclerc est professeur de lettres modernes à l’université de Rouen, spécialiste de Flaubert ; il est également critique littéraire.
Pourquoi Madame Bovary est-elle devenue un mythe = un mythe est un récit fondateur ; dans son premier roman publié, Flaubert raconte un destin de femme, mais au-delà il est question de ce qui nous constitue, par l’écart entre la poésie des rêves et la prose du monde.
Emma lit des romans de chevalerie, mais surtout des livres romantiques (Don Quichotte, livre où Flaubert reconnaît ses origines) ; pour Flaubert elle est un Don Quichotte en jupons.
Flaubert a eu un coup de génie, en piégeant son lecteur dans l’histoire d’une lectrice aliénée par les livres.
En fait il écrit un livre vrai sur le pouvoir d’illusion de la lecture.
Les mythes antiques glorifiaient les figures et situations surhumaines ; à l’inverse Flaubert transforme en mythe un sujet bas. Avant lui, Balzac avait déjà écrit sur des drames ordinaires = c’est la caractéristique du « réalisme ». Cependant Flaubert est le premier à vouloir écrire une « épopée » sur la médiocrité…
Malgré Balzac, le roman est encore un genre mineur au milieu du 19ème siècle, inférieur au théâtre et à la poésie, Flaubert lui donne des lettres de noblesse par le travail sur la langue = il montre des réalités triviales en évitant la moquerie et l’idéalisation.
La vulgarité s’étale avec ostentation, mais elle est dite dans un style ouvragé qu’elle paraît littérairement légitime.
Emma est devenue un mythe à portée universelle quand le philosophe Jules de Gautier a défini, en 1892, le « bovarysme » => faculté départie à l’homme de se concevoir autrement qu’il n’est.
Que reproche-t-on à Flaubert lors du procès de « Madame Bovary » = le roman tombe sous un triple chef d’inculpation => outrage à la morale publique (parce qu’il sape les valeurs sociales, notamment l’institution du mariage) et religieuse (Emma mélange le sacré et le profane, elle confond les élans mystiques et sensuels), et aussi aux bonnes mœurs (glorification de l’adultère, description de scène lascives selon le procureur Ernest Pinard).
Pour tout cela, Flaubert aurait dû être condamné. Il a probablement bénéficié d’interventions politiques dans l’entourage de Napoléon III.
En écrivant « Madame Bovary », il sait qu’il va choquer, mais il écrit d’abord une œuvre d’art qu’il place en dehors de la morale (par-delà le bien et le mal). Sa seule intention est de bien écrire … non d’édifier, d’instruire ou de divertir ses lecteurs.
« Madame Bovary c’est moi » - Flaubert a-t-il vraiment dit cette fameuse phrase = pour l’instant on ne l’a trouvée écrite nulle part.
Elle est venue jusqu’à nous à la suite d’une transmission orale peu fiable => Flaubert l’aurait dite à une amie, Amélie Bosquet, qui l’aurait répétée à un certain de Launay dont on ne sait rien, qui l’a rapportée à René Descharmes, lequel la transcrit dans une note de sa thèse parue en 1909.
Flaubert a-t-il pu dire cela ? c’est peu vraisemblable.
Quand il parle de son personnage dans ses lettres, c’est généralement pour s’en désolidariser.
Flaubert déclarait qu’il avait écrit « Madame Bovary » en haine du réalisme – pourquoi ? = on assimile couramment Flaubert à l’école du réalisme, caractérisée par les sujets modernes, la critique sociale et l’observation clinique du réel.
Au temps de Flaubert, le réalisme – théorisé par Duranty et Champfleury – se définissait par analogie avec l’invention de la photographie = une reproduction exacte et sans art de la réalité.
Flaubert a d’abord une intention artistique – il se situe dans la lignée des auteurs qu’il admire => Homère, Rabelais, Montaigne, Shakespeare et Cervantès. Parmi ses contemporains = Hugo.
Il lit aussi beaucoup les classiques = Corneille, La Bruyère, Boileau.
…
L’article du magazine, vous vous en doutez, est beaucoup plus long, intéressant de bout en bout – j’ai copié ici ce qui m’a le plus intéressée.
la mort d'Emma par albert fourié (1883)
la mode au 19ème siècle qui attirait tant emma bovary au point de la ruiner