INDIA MATRI BHUMI, de Roberto Rossellini
Titre original italien = INDIA
Titre français = INDIA, Terre Mère
Scénario de Sonaly Senroy Das Gupta, Fereydoun Hoveyda, Roberto Rossellini
Interprétés par des acteurs non professionnels
Tout comme son film « Paisa », réalisé en 1946, l’histoire d’INDIA s’articule autour de quatre histoires – autour du thème "l'homme et la ville".
Cela commence à Bombay, entre culture millénaire et modernité.
- Un conducteur d’éléphants (mahut) profite de la période d’accouplement des éléphants pour épouser une jeune femme qui fait partie d’une troupe d’artistes ambulants
- Après avoir travaillé à la construction de la digue de Tirakud, un ouvrier et sa famille quittent les lieux où on leur offrit l’hospitalité pendant les travaux après la sécession du Bengale
- Suite aux modifications intervenues dans son environnement, un tigre devient dangereux pour un village situé près de la jungle, mais un ancien va mettre tout en œuvre afin d’éviter une chasse au tigre
- Durant le trajet vers une foire en ville, le propriétaire d’un singe apprivoisé meurt. La petite bête, qui porte sur elle l’odeur des humains, est menacée par ceux de sa race ; elle survit d’expédients jusqu’à ce qu’elle soit adoptée par quelqu’un qui l’emmène vers la grande ville.
Le film se termine là où il a commencé – la boucle est bouclée.
Pour une fois, je laisserai d’autres parler pour moi =
Jean-Luc Godard a dit de ce film = « C’est la création du monde ».
François Truffaut a commenté le film de cette manière = « C’est extraordinaire de simplicité et d’intelligence, c’est une méditation sur la vie. India est un poème libre hors du temps et de l’espace ».
Ces jeunes critiques des Cahiers du Cinéma, devenus réalisateurs de la Nouvelle Vague, résument bien mieux que moi ce que je pourrais encore écrire sur ce magnifique docu-fiction que sa simplicité dans le quotidien rend totalement émouvant.
Les images sont évidemment superbes; un seul regret je n'ai eu droit qu'à la version francophone des commentaires.
La musique est une musique indienne originale.
J’ai passé une heure trente d’un magnifique dépaysement, où déjà - bien avant que ce ne soit devenu une mode - on aborde le sujet des animaux dont l'univers est menacé par l'homme, ainsi que la difficulté pour un petit animal "sauvage" mais apprivoisé à subvenir à ses besoins dans son véritable environnement, face à l'agressivité naturelle de ses congénères.
Bien entendu, il s'agit aussi de tenir compte de l'époque où le film fut tourné, et on a plus d'images idylliques que d'une situation abordant les problèmes que le pays connaît depuis.
Ici, on est dans une vision idéale d'un pays qui a tout de même des lacunes - à commencer par la situation des femmes. Le film n'aborde rien de politique, le réalisateur ayant mis l'accent sur le "pacifisme naturel" des Indiens, où toutes les religions vivent côte à côte dans le respect de l'autre ... (on croit rêver lorsqu'on connaît la situation actuelle de l'Inde)
Un peu d’histoire concernant la genèse du film
Durant les années 1954 à 1957, le réalisateur italien Roberto Rossellini eut une période d’inactivité professionnelle pour cause de difficultés à trouver des commanditaires pour ses films.
Il a à l’époque beaucoup de contacts avec la « nouvelle vague » cinématographique française, ce qui lui donne l’envie de s’éloigner des schémas traditionnels du cinéma hollywoodien, lui qui représente le cinéma du réalisme à l’italienne.
L’émergence de la télévision lui tend une perche qu’il saisira avec plaisir, d’autant plus qu’il peut alors avoir tout le contrôle sur toutes les phases de la réalisation, une liberté totale non seulement au point de vue économique mais également idéologique.
Le projet « India », basé sur des scénarios de Fereydoun Hoveyda, devait voir filmés 11 épisodes télévisés, tournés dans diverses parties de l’Inde.
Malgré les problèmes (la plupart financiers), après une rencontre avec le premier ministre indien Nehru à Londres, qui lui apporte accord et encouragements, Rossellini part avec son opérateur Aldo Tonti pour l’Inde. Malgré les multiples difficultés financières et logistiques « India » fut terminé et présenté au festival de Cannes en mai 59.
Durant le tournage d’ « India Matri Bhumi », Roberto Rossellini réunit également le matériel qui lui servira aux épisodes télévisés « L’India vista da Rossellini » pour la RAI, et qui passera à l’ORTF sous le titre « J’ai fait un beau voyage ».
Je terminerai ma petite chronique par ce que disait Roberto Rossellini lors d’un interview en 1959 et qui est une superbe leçon sur ce qu’il estimait que devait être le cinéma =
Avant tout il faut connaître les hommes tels qu’ils sont. Le cinéma est là pour ça, pour les filmer sous toutes les latitudes, dans toutes les aventures, sous tous les angles, les bons et les méchants. Ce n’est pas pour rien qu’un objectif de caméra s’appelle « objectif ». Il faut s’approcher des hommes avec objectivité, avec respect. Je ne me permets jamais de porter un jugement sur mes personnages. Je me contente de montrer leurs faits et gestes, il faut arriver à ce point extrême où les choses parlent d’elles-mêmes, ce qui ne signifie pas uniquement qu’elles parlent toutes seules, mais qu’elles parlent de ce qu’elles sont en réalité.
Quand vous montrez un arbre, il faut qu’il vous parle de sa beauté d’arbre, une maison de sa beauté de maison, un fleuve de sa beauté de fleuve. Il en va de même pour les humains et les animaux = un tigre, un éléphant, un singe, sont aussi intéressants qu’un gangster ou une femme du monde – et vice-versa.