L'HISTOIRE AU CINEMA, de Jean-Loup Bourget
Sous-titre = Le Passé retrouvé
Le film historique est aussi fascinant que le roman historique (voir l’excellent essai à ce sujet de Brigitte Krulic), et en plus – ce qui ne gâte rien – on a le son et les images ! avec parfois quelques anachronismes, mais qui s’en préoccupe réellement… (sauf l’enragée de vérité historique que je suis).
Il ne faut pas l’oublier, le film historique n’est pas un film documentaire sur des faits avérés, c’est la vision d’un écrivain, d’un scénariste, d’un metteur en scène – et parfois même d’un producteur qui n’y connait rien, transposant à l'écran des faits historiques dans lesquels sont souvent introduits une histoire romancée. Parfois il s'agit d'un biopic, dont le scénario altère quelque peu la vérité.
Le passionnant ouvrage de Jean-Loup Bourget propose - comme toujours chez « Découvertes-Gallimard » une analyse, qui cette fois est thématique et non chronologique, ce qui rend l’ensemble encore plus attrayant, puisque l’on retrouve D.W. Griffith aussi bien dans le chapitre 5 que dans le tout premier en qualité de précurseur du film historique.
Le tout premier film historique de l’histoire du cinéma date de 1914, un film muet donc, et est dû à l’Italien Giovanni Pastrone (aussi connu sous le nom de Piero Fosco) et Gabriele d’Annunzio pour le scénario – le film s’intitulait « Cabiria » et raconte l’histoire de la reine numide Sophonisbe (historique) pendant la seconde guerre punique à Carthage – la « Salambô » de Gustave Flaubert aurait aussi inspiré les deux auteurs du film. C’est aussi la première fois qu’apparaît à l’écran le célèbre « Maciste ». Costumes, nombre de figurants, décors étaient grandioses. Sa longue durée et sa mise en scène en font l’archétype du film historique.
C’est de ce film que s’inspira D.W. Griffith pour son célèbre « Intolerance » (1916) où le réalisateur mégalomane a choisi de raconter une simple histoire d’amour à travers quatre époques différentes de l’histoire de l’intolérance (la prise de Babylone, la passion du christ, la saint-barthelemy et une grève dans l’Amérique contemporaine – de 1916 !).
Alors que Pastrone s’inspirait de l’histoire romaine, Griffith choisit ses sujets dans la bible. Celle-ci sera d’ailleurs la référence première des films historiques (10 Commandements, Fabiola, etc).
Les Italiens et les Américains ne furent pas les seuls à proposer des films historiques, tout au début de l’histoire du cinéma = Abel Gance, Carl Dreyer, Eisenstein, Kurosawa, en seront les grands pionniers ailleurs dans le monde.
En 6 chapitres = de « Au commencement était la bible » à « Comment parlaient les pharaons », en passant par « Qui nous délivrera des Grecs et des Romains », « Sources et modèles (la peinture d’histoire) », « Pour une contre-histoire » et « Victimes et maîtresses » - l’auteur nous entraîne à travers les héros populaires, picaresques, les reines ou maîtresses royales, les histoires vraies adaptées, les peplums (revoilà « Maciste » et « Hercule », avec les superbes Reg Park et Steve Reeves), au travers du chaos médiéval, et tant d’autres bruits et fureurs.
L’un des sujets qui m’a le plus intéressée, mais ce choix n’est pas exhaustif, ce fut surtout parce que c’était une surprise pour moi, est la manière dont « la peinture d’histoire » (chapitre III) a influencé certains réalisateurs (Kubrick pour « Barry Lyndon », p.ex.).
Je recommande aussi vivement la lecture des « Témoignages & Documents », qui suivent les grands chapitres, comme il est aussi courant dans cette collection. On y trouve un savoureux index alphabétique sur certaines anecdotes et gaffes. J’ai particulièrement aimé celle où Sergio Leone, dont la première réalisation fut un peplum = « Le Colosse de Rhodes », raconte à quel point il « brisa » le cœur du producteur en lui apprenant que ledit colosse était l’une des merveilles du monde, une statue gigantesque, et non un super-héros dans le style de « Maciste » ou « Hercule », à savoir un homme de grande force et stature.
Il y en a plein comme ça, et c’est savoureux à découvrir et parfois totalement hilarant.
Sans oublier les commentaires concernant la récupération par le film historique pour la propagande des tyrans au pouvoir (Staline, notamment).
Comme beaucoup de livres de la collection « Découvertes-Gallimard », voici une fois de plus un incontournable pour ceux que l’Histoire du cinéma et l’histoire au cinéma intéresse.
L’auteur, Jean-Loup Bourget, est professeur de littérature américaine à la Sorbonne (du moins au moment de la parution du livre) ; il est l’auteur de huit ouvrages sur le cinéma et a écrit de nombreux articles sur la littérature et l’histoire de l’art. Il est collaborateur à la revue de cinéma « Positif ».