REVOLUTIONARY ROAD, de Sam Mendes
April et Frank se sont rencontrés, se sont plus, se sont mariés et sont venus habiter dans Revolutionary Road, jolie petite rue de la grande banlieue newyorkaise, où toutes les maisons sont propres, les pelouses bien tenues, les ménagères aussi aseptisées que leur environnement pendant que les maris, costume et chapeau Style 50ies, font quotidiennement la navette vers les bureaux de la grande pomme.
Les aspirations de comédienne d’April sont désormais enfouies dans le même ennui que celui de sa vie ; ses frustrations s’expriment sous forme de colères et disputes avec son époux quand il essaie de la consoler.
April, à l’évidence, ne supporte pas cette vie de femme au foyer ; un jour, elle redécouvre des photos de Frank à Paris, après la guerre. C’est alors qu’une idée germe en elle : tout plaquer pour recommencer une nouvelle vie à Paris ; là Frank pourra réfléchir et trouver ce qu’il a réellement envie de faire et devenir, au lieu de s’embêter dans un travail peu intéressant. Pour April, il est vraiment temps de se réveiller, de réagir avant d’être enlisé définitivement dans la monotonie quotidienne.
D’abord surpris et réticent, Frank est gagné par l’enthousiasme de son épouse. Inutile de dire que leurs meilleurs amis n’en reviennent pas plus que les collègues de Frank, qui retiennent les sarcasmes qui leur viennent aux lèvres.
Ce projet d’une autre vie ranime la flamme du couple, qui battait de l’aile au point que Frank s’intéressait à l’une des petites secrétaires du bureau.
C’est alors que deux nuages apparaissent pour voiler ce ciel bleu : April est à nouveau enceinte et Frank obtient une promotion professionnelle.
Frank est beaucoup plus conventionnel qu’April, au fond cette promotion l’arrange bien et il fait, assez lâchement d’ailleurs, marche arrière dans le projet.
Quand s’écroule son conte de fées et que le prince charmant s’avère n’être finalement qu’un type banal et sans réelle fantaisie, qui est content de cette vie « normalisée » et qu’elle est confrontée à une vie sans espoir d’autre chose, April accomplira un geste désespéré.
Les portraits de mariage sont nombreux tant au cinéma que dans la littérature ; ils sont traités de diverses manières, mais celui-ci est effrayant par l’intensité du désespoir qu’il véhicule ; il est aussi poignant que le roman qui l’inspira.
Il est impossible d’oublier April et Frank et leur désespérance dans ce portrait d’un couple en crise, où l’adultère remplace le manque de communication dans un couple au destin tragique, aux illusions perdues où l’on blâme l’autre de ses manquements propres, parce que s’il fallait avoir le courage de se regarder en face, on sait que ce serait insoutenable.
Dans le rôle d’April, Kate Winslet prouve une fois encore qu’elle est l’une des meilleures actrices dramatiques de sa génération.
Quant à Leonardo di Caprio, le rôle de Frank lui offre enfin le premier rôle vraiment adulte de sa carrière d’acteur. C’est du grand talent aussi.
Les deux acteurs, qui se retrouvent après « Titanic », ont une alchimie professionnelle qui fonctionne à la perfection dans ce drame terriblement humain et personnel, avec déchirements, dépression, et victimisation.
Dans les rôles secondaires, il y en a un qui, bien que court, est particulièrement impressionnant également : celui de John, le fils du couple Givings, résidant dans une institution psychiatrique ; John c’est le révélateur, celui qui met le doigt exactement là où ça fait mal. Il est formidablement interprété par Michael Shannon.
Ses parents sont interprétés par Kathy Bates, très à l’aise dans le rôle de la femme d’âge moyen, cancanière ; son mari est joué par Richard Easton.
Le couple des amis intimes du couple, Milly et Shep, est joué par, respectivement Kathryn Hahn et David Harbour.
Le collègue moqueur de Frank est joué par Dylan Baker et son futur nouveau boss est joué par Jay O. Sanders.
« Revolutionary Road » est un film qui vous prend aux tripes. A voir absolument, même si ce n’est pas facile de voir ainsi exposées nos déchirures quotidiennes.
Le titre français, choisi pour le film, est à mes yeux assez stupide et n’a pas grand-chose à voir avec l’histoire.
Je préfère – et de très loin – le beau titre choisi pour la traduction française du livre de Richard Yates à savoir « La Fenêtre panoramique ».
Ce roman de Yates devint très rapidement un roman culte dans les années 60 et Kurt Vonnegut en disait qu’il était le « Great Gatsby » de notre époque.
Quant à Tennessee Williams, il ne tarissait pas d’éloges sur le roman.
Time Magazine, lui, a classé le roman de Richard Yates parmi les 100 meilleurs romans de langue anglaise de 1923 à ce jour.
Pas étonnant dès lors qu’il ait attiré Sam Mendes, qui nous avait déjà offert ce portrait au vitriol de l’american way of life qu’était « American Beauty ».