SHADOW OF A DOUBT, d'Alfred Hitchcock
Titre français = L’ombre d’un doute
Scénario de Thornton Wilder, Sally Benton & Alma Greville (sur base d’une histoire écrite par Thornton Wilder, elle-même basée sur un roman de Gordon McDonell.)
A Santa Rosa, toute la famille Newton se réjouit de la venue de l’ « Oncle Charlie », Charles Oakley, le jeune frère d’Emma Newton a décidé de venir passer quelques jours au sein de sa famille ; cette venue enchante sa grande sœur, mais surtout sa nièce, Charlene Newton, surnommée « Charlie » comme lui. Pour la jeune fille qui s’ennuie dans la petite fille bien coquette et proprette de Santa Rosa, la venue de cet oncle est comme une bouffée d’air frais.
Quant à Emma Newton, elle espère que la venue de ce frère chéri s’étendra plus longtemps qu’un court séjour. Le seul qui ne montre pas autant d’enthousiasme est Joseph, le père et mari, qui se sent un peu relégué dans l’ombre avec la venue de ce beau-frère, beau parleur, charmeur, couvrant tout le monde de cadeaux.
Ce que toute la famille ignore, c’est que Charles Oakley est soupçonné par la police d’être un tueur en série = le « Tueur de Veuves » ; lorsque le jeune détective, Jack Graham, en parle à Charlie, la nièce du présumé tueur, elle lui répond qu’un autre homme est également soupçonné pour la même chose et qu’en conséquence il ne peut s’agir de son oncle.
Et le fait qu’il refuse que l’on le prenne en photo n’est pas une preuve de quoi que ce soit de criminel. Depuis, cette conversation, néanmoins, Charlene commence à observer son oncle différemment et des petits faits prennent une autre signification, comme cette conversation au cours d’un dîner où l’oncle critique avec méchanceté les riches veuves dépensant tout l’argent que leurs malheureux époux ont mis des années à gagner avant de mourir !
Deux petits accidents mettent la vie de la jeune Charlie en danger, ce qui fait qu’elle se met réellement à soupçonner son oncle et lui demande de quitter la ville, afin que sa mère ne doive pas être témoin d’une arrestation. Dans un premier temps, Charles Oakley refuse, mais finalement décide de partir malgré le chagrin de sa grande sœur. Quant à sa nièce, elle monte avec lui dans le train et celui-ci démarre avant qu’elle ne puisse en descendre.
Lorsqu’on connaît le malin plaisir d’Hitchcock à toujours mettre un innocent dans une position de coupable, et puis de broder une histoire autour de savoir ou non comment il va s’en tirer, Cet « Ombre d’un doute » est évidemment très intéressant à regarder.
Tout comme il est intéressant de constater qu’une fois que le poison s’est infiltré dans l’esprit de la nièce, le moindre petit geste, la moindre parole, même innocente, prennent une signification toute différente (ce phénomène se retrouve d’ailleurs dans le roman « Les Feuilles Mortes » de Thomas H. Cook chroniqué récemment).
L’entrée en gare du train qui amène Charles Oakley à Santa Rosa est particulièrement impressionnante = une épaisse, énorme fumée noire envahit pratiquement tout l’écran, comme si le Mal dans toute sa splendeur entrait dans cette petite ville bien jolie et proprette.
Alfred Hitchcock dut demander une permission spéciale pour cette fumée – qui n’est pas naturelle du tout, un train même à vapeur ne produit pas une telle fumée noire et épaisse.
L’humour noir d’Hitchcock est omniprésent dans cette histoire = pendant que l’on se demande qui est vraiment l’Oncle Charlie – est-il ou non le « Tueur de Veuves » - Joe, le papa, lecteur enragé de polars et son voisin, Herbie, tout aussi passionné de polars que lui, passent leur temps à avoir des conversations sur les multiples méthodes pour assassiner quelqu’un sans se faire pincer comme criminel, mais plutôt éventuellement comme mort par imprudence ! C’est réellement grinçant pendant que l’angoisse monte chez la jeune Charlene.
Celle-ci est interprétée par Teresa Wright, qui obtint un oscar pour son premier rôle au cinéma, en interprétant la fille de Bette Davis dans « Little Foxes ». Elle jouera aussi la fille de Greer Garson dans « Mrs Miniver », avant d’être prêtée par son studio à Hitchcock pour être la fille des Newton. Elle interprète ce rôle avec beaucoup d’émotion, passant de la jeune fille radieuse, heureuse de voir sa petite vie sans intérêt prendre une autre allure à l’arrivée de son oncle adoré, jusqu’à ce que le soupçon la transforme en jeune fille inquiète, malheureuse.
L’oncle Charlie est joué avec beaucoup de vérité par Joseph Cotten, plutôt un habitué des rôles de braves types. Ici il est très ambigu et lorsqu’il demanda à Hitchcock comment se mettre dans la peau d’un possible assassin, le metteur en scène l’emmena dans un lieu public, où passaient des gens ordinaires en lui disant que parmi eux se cachait peur-être un meurtrier, mais que ceux-ci n’ont pas de signes distinctifs.
Les parents Newton sont joués par Patricia Collinge, qui est une Emma semblant revivre par la venue de son frère ; Joseph son époux est joué par Henry Travers, qui met beaucoup d’humour dans le rôle du beau-frère de Charlie, pas plus emballé que ça par ce beau-frère qui charme tout le monde et le relègue au second point. Heureusement son voisin et copain, Herbie, est là pour mettre un peu de piment grâce à leurs discussions sur l’art d’assassiner son prochain. Ce voisin est interprété par un tout jeune Hume Cronyn, un acteur que j’ai toujours beaucoup apprécié.
Jack, le détective qui tombe amoureux de la jolie Charlene est joué par Macdonald Carey, un acteur qui fit surtout carrière à la télévision après quelques bons rôles au cinéma.
La musique du film est la première d’une série de collaboration entre Alfred Hitchcock et le compositeur Dimitri Tiomkin – à côté de la musique originale du film, Tiomkin y introduit des extraits de la « Veuve Joyeuse » de Franz Lehar, clin d’œil au « Tueur de Veuves ». Et comme toujours chez Hitchcock, la photographie toute en ombres et lumières prend une immense importance, surtout en noir & blanc, pour bien accentuer l'ambiguité des situations.
Hitchcock aimait à dire, reprenant les paroles d’Oscar Wilde « on ne détruit que ce que l’on aime », lorsqu’on lui demandait si Oncle Charlie était un assassin ou non, une façon comme une autre de ne pas répondre – ce qu’on peut comprendre. En tout cas, le réalisateur disait que ce film était son préféré parmi ses réalisations aux Etats-Unis.
Comme d’habitude, le metteur en scène apparaît brièvement dans le film, il faut toujours être très vigilant pour ne pas le manquer – ici il est dans le train et joue au bridge où il a une main complète en pique.
Au début de ses réalisations, Hitchcock apparaissait à dans le courant du film et du coup, il estimait que l’attention des spectateurs était distraite par l’attente de cette apparition cameo ; comme il estimait que son film méritait toute l’attention des spectateurs, il décida d’apparaître au tout début de ses films.