MARCH, de Geraldine Brooks
Titre français = La solitude du Docteur March
J’imagine que la plupart d’entre vous ont lu « Little Women » (Les quatre filles du pasteur March) – ce roman de Geraldine Brooks s’introduit dans l’année où le docteur March – abolitionniste convaincu - s’est engagé volontairement dans l’armée nordiste, laissant derrière lui sa formidable épouse, Marmee et ses quatre filles Margaret (Meg), Josephine (Jo), Elizabeth (Beth) et Amy.
La famille March vit dans un certain dénuement, bien qu’ayant été riche par le passé, le docteur March a aidé un ami ce qui l’a ruiné.
Ce roman relate l'année où le docteur March a été aumonier dans l'armée nordiste, où il s'imagine en arrivant dans son bataillon qu'il va se retrouver face à des êtres qui veulent sincèrement le bien des Noirs, avant et après leur libération. Il va rapidement déchanter, et être muté pour avoir émis des idées qui déplaisent à ses supérieurs. C'est surtout la manière dont il les émet qui déplaît, March a la délicatesse d'un bélier qui fonce sur l'ennemi. Peu à peu le cauchemar de la guerre va lui ouvrir les yeux sur la nature humaine. Lorsque la maladie le rattrape, ses souvenirs reviennent à la surface.
J’aurais tant voulu dire que j’avais aimé cette lecture … hélas, j'ai des sentiments assez mitigés à propos du personnage central de « March »; le pasteur devenu aumônier Robert March, m’a déçue par son caractère manquant souvent d'empathie. Il a ses idées, les autres doivent les partager.
Bien sûr une guerre civile n’engage pas à la joie et la bonne humeur et après tout ce qu’il a vécu, March est un homme brisé.
Mais March est également un rêveur, un utopiste, comme tous les utopistes, il fait passer le bien de la communauté avant celui de sa famille – c’est cela qui m’a le plus déçue.
Il a déjà sacrifié leur bien-être matériel par de mauvais placements, ils vivent désormais en relative pauvreté mais même de cela il se rengorge – mieux vaut l’âme élevée que des biens matériels. Jamais le pasteur March ne semble tenir compte de ce que ressentent les autres.
De Geraldine Brooks j’avais particulièrement aimé « Year of Wonders », un roman dont la toile de fond est historique, celle d’un village qui s’exclut volontairement du monde pour ne pas être contaminé par la grande peste, raconté du point de vue de la survivante.
Je me réjouissais donc de découvrir ce drame historique, situé en plein cœur de la guerre civile américaine. Elle concocte une fois encore une fiction sur un excellent arrière-fond historique, qui n’est pas un mauvais roman mais dont je n’ai vraiment pas apprécié le personnage principal.
J’ai mis un certain temps à rédiger ma chronique car j’avais quelques difficultés à en parler. Il faut dire que j’ai parfois du mal avec les « suites » ou récupération d’un personnage d’un roman pour lui donner une existence propre (il paraît que cela s'appelle actuellement de la "fanfic", autrement dit "fan fiction"; il est vrai qu'actuellement on vous étiquette tout et n'importe quoi).
Je sais que des lecteurs outre-Atlantique ont considéré qu’elle fait tomber les parents March de leur piédestal, ceci ne m’a guère dérangée, après tout dans « les quatre filles du Dr March » on a l’impression que les parents sont des saints !
Marmee elle-même ne parle-t-elle pas de son caractère violent à Jo, lorsque celle-ci a boxé sa sœur Amy à la suite du manuscrit brûlé.
Dans le roman de Geraldine Brooks, Robert March met l’accent sur le « caractère difficile » de son épouse avant qu’elle n’arrive à le tempérer un peu.
En ce qui me concerne, c’est plutôt sa mentalité à lui qui m’a tapé sur le système = comme tous les êtres aux grandes idées, il est finalement rigide et monomaniaque.
D’ailleurs, Grace Clement résume parfaitement cela dans la dernière phrase qu’elle lui adresse, en le renvoyant dans sa famille.
C’est, pour moi, l’un des plus beaux passages du roman.
Ce qui m’a parois déroutée aussi dans ma lecture est le fait que l’histoire qui est racontée à la première personne, est tout le long le compte-rendu de Robert March, puis – soudain – vers son milieu, sans prévenir, c’est Marmee, venue le rejoindre blessé, à Washington, après le télégramme (rappeLez-vous « Little Women ») qui se met à raconter son ressenti.
Puis on repasse à March et ses lamentations. J’ai été obligée de relire un peu pour arriver à réaliser qui était qui.
J’ai toutefois appris certaines choses grâce à ce roman sur les courants de résistance, formés par les abolitionnistes, le « Underground Railroad Network » qui aidait les esclaves à passer librement dans les états du Nord et au Canada où l’esclavage était interdit.
IL faut dire que Geraldine Brooks se renseigne toujours fort minutieusement avant de rédiger ses romans historiques, afin de les rendre les plus précis possibles.
Margaret May, dont Robert March tombe amoureux, fait partie de ce courant abolitionniste et c’est ce côté impétueux de son caractère qui l’attire.
Autour de ce rêveur qui pleure ses rêves écroulés, tournent une pléiade d’autres personnages attachants, comme son amour de jeunesse, la très belle Grace Clement, esclave métisse qui porte aussi un lourd secret.
Conclusion = pas un mauvais livre, certainement intéressant au point de vue historique, mais pas un incontournable non plus comme annoncé.
C’est le père de Louisa May Alcott, Bronson Alcott, qui a servi en partie de modèle au March de Geraldine Brooks. Le père de la jeune romancière a, comme March, ruiné sa famille avec ses projets utopistes pendant que son épouse Abby May (le modèle pour Marmee) faisait bouillir la marmite en se débrouillant du mieux possible avec le peu qu’elle possédait.
Deux de leurs filles aidèrent également leur famille matériellement = Louisa May Alcott, la romancière et May Alcott, l’artiste, qui illustra d’ailleurs la toute première édition de « Little Women ».
Abigail May, leur formidable mère, suffragette, abolitionniste encouragea ses filles à être indépendantes, ce que deux d’entre elles (précitées) devinrent, l’aînée étant l’image de la parfaite épouse comme on la concevait en temps victoriens.
Mais toute la famille se serra toujours les coudes, dans la misère et la maladie.
Leurs proches amis étaient Henry Thoreau et Ralph Waldo Emerson, les poètes et philosophes qui aidèrent aussi les Alcott matériellement. On rencontre ces deux figures emblématiques de la littérature américaine au fil des pages, lorsque le pasteur March évoque sa jeunesse.