NANCY SPRINGER
Dans un interview à « Books for Sale » la romancière Nancy Springer raconte sa vie et le parcours qui la mena à l’écriture =
Sur son bureau, l’auteure des aventures d’Enola Holmes et d’une multitude d’autres romans pour la jeunesse dans le domaine de l’aventure et de la fantasy, a un cachet qui dit « conformes-toi, deviens folle, ou deviens une artiste » ! Selon la romancière, cette formule décrit parfaitement sa vie.
« Se conformer » était effectivement ce qu’on attendait des filles dans les années 1950 – Nancy Connor Springer est née en 1946 dans le New Jersey – même sa mère, artiste peintre animalière se comportait en ménagère parfaite, jouait au bridge, etc. Elle était une sorte de « Pollyanna » (modèle de jeune Américaine toujours souriante et gentille), qui n’acceptait aucune attitude négative de ceux qui l’entouraient et d’elle-même.
Son père, élevé à la manière britannique, dans une famille protestante du sud de l’Irlande ayant émigré aux USA était ravi de ne plus être un « vilain petit canard » en société. Malgré ses lectures peu conventionnelles, Mr. Connor exigeait un comportement exemplaire de la part de ses enfants.
Nancy Connor était la seule fille de la famille, et la plus jeune enfant, plutôt chouchoutée, donc forcément toujours « gentille ». Son « conformisme » se signala lorsqu’elle eut treize ans, après que ses parents aient acquis un petit motel près de Gettysburg ; elle passa alors ses journées à aider à faire les lits et faire en sorte que tout était propre et net. Pas question de rendez-vous avant qu’elle n’entre à l’université.
Là on est dans les Sixties, une époque où tout le monde se laisse pousser les cheveux, fume de « l’herbe », participe à des manifestations et « happenings ».
Toutefois, la phase « conformiste » de Ms. Connor se poursuivit jusqu’à l’âge adulte. Elle épousa le fils d’un pasteur-prêcheur, lui-même supposé se conformer à ce qu’on attendait de lui = poursuivre des études de pasteur. Quelques années plus tard, Nancy Springer était donc l’épouse du révérend Springer, avec des enfants et vivant dans une paroisse la campagne du sud du comté de York, Pennsylvanie.
Et c’est là que commence la phase « deviens folle » =
n’ayant jamais pu exprimer des émotions négatives, Nancy se met à entendre des voix, l’une d’elles chuchotant « divorce » (impensable !), plus tard les voix murmurèrent « suicide ».
Inutile de dire que la jeune femme était terrorisée par ce qui lui arrivait ; insomnies, images de couteaux et tortures toujours devant les yeux même la journée, des bruits dans les oreilles. Elle voyait même du sang suitant des murs. Inutile d’ajouter donc qu’elle fut déclarée en « grave dépression clinique » et mise sous valium tout en étant redirigée vers un psy. Selon Ms. Springer, elle fut réduite à l’état de zombie par les médecins avec tous les antidépresseurs possible de l’époque.
Un autre psychiatre finalement décréta qu’elle avait un problème à s’ajuster à la vie. Et ce cirque se poursuivit pendant quelques années, période où elle parvint à rester en vie, s’occuper des enfants, de son époux, de coudre des vêtements pour la famille et faire pousser des légumes pour arrondir les fins de mois, sans oublier faire la cuisine, les confitures, la lessive et assister aux services dans l’église de l’époux.
Malgré tout cela, elle parvint à faire publier « The White Hart » et « The Silver Sun » - pendant qu’un médecin ou psy ne réalise que Nancy Springer était probablement une forte personnalité, voire un écrivain en devenir. Chacun d’eux voulant la soigner pour qu’elle soit conforme à l’image de la parfaite épouse de pasteur. Elle se résigna à penser – puisque c’est ce qu’on lui faisait comprendre – qu’elle devait être « mauvaise - aussi décida-t-elle de cesser de se « réparer » et décida en guise de désespoir d’être ce que l’on attendait d’elle.
C’est alors qu’elle décréta « Je prendrai désormais une heure ou deux chaque matin pour écrire », ce à quoi son époux répondit « D’accord » !
Apparemment l’homme en était arrivé à accepter n’importe quoi pour faire plaisir à sa névrosée d’épouse. Il ne réalisa même pas que cette phrase était la plus importante de son existence, par cette décision elle cesserait d’être autre chose qu’une ménagère exemplaire mais un véritable écrivain.
Donc « conformes-toi », « deviens folle » étaient accomplis – à présent « deviens une artiste » =
Et en devenant romancière, Nancy Springer redevint en bonne santé. C’était aussi simple que cela, même si cela prit quelques années, car comme toute bonne chose, cette décision devait murir, tout comme un arbre met longtemps à grandir.
Dans ses romans « Chains of Gold » et « The Hex Witch of Seldom », elle écrit en tant que femme, ne s’identifiant enfin plus aux personnages masculins principaux de ses romans.
Dans un nombre considérable de livres pour enfants, elle fit la paix avec son enfance. Et finalement, le roman « Apocalypse », une sombre histoire dans le genre « fantasy », fut le début d’une carrière qui permit à son époux d’arrêter d’être pasteur. Il est évident qu’être femme de pasteur, quelque part, jouait un rôle répressif sur son caractère. Là elle est déjà une femme ayant atteint la « middle-age crisis » et elle put enfin se retrouver dans des lieux qu’elle n’imaginait pas avoir en elle.
Les temps sont loin où elle s’imaginait être quelqu’un de mauvais, elle a même écrit un roman « Fair Peril », qui est le plus autobiographique de tous. En regagnant sa propre personnalité, elle perdit son époux ; bien qu’il l’ait soutenue à travers les épisodes de « folie », dès qu’elle se montra enfin sous un jour fort et résolu, son époux la quitta pour une jeune femme similaire à la Nancy névrosée.
Malgré le choc, Ms. Springer refusa de retomber dans ses vieux schémas ; elle vit à présent en Floride avec un nouvel époux, qui l’aime et la soutient dans ses entreprises. Même les plus aventureuses. Ensemble, ils exploitent une ferme écologique - et elle poursuit sa carrière de romancière.
Nancy Springer écrit depuis 1972, depuis l’époque où folle d’ennui, elle entendait des voix et des bruits. N’ayant pas beaucoup de confiance dans son talent d’écrivain de fiction, elle commença par la « fantasy » - là au moins, les faits ne doivent pas être rigoureusement exacts.
Bien sûr, à travers les années, son style s’est amélioré depuis son premier, dit Ms. Springer. Ayant toujours aimé le mysticisme et la poésie, ce qui était important était de ne pas exagérer, d’écrire de manière claire et compréhensible. Lorsque je cessai d’écrire de la « fantasy », les éditeurs m’aidèrent à écrire de manière moins compliquée.
Après sa série sur « Rowan Hood » et celle dérivée des légendes arthuriennes, un éditeur peu conventionnel, Michael Green, souhaita quelque chose qui se rapprocherait des romans gothiques, situé dans un Londres sombre et victorien, époque de Jack l’éventreur. Généralement, dit Nancy Springer, je préfère ignorer les gens qui me disent ce que je dois écrire mais j’écoute toujours Michael Green, qui est un génie dans le monde de l’édition. Je ne connaissais pas Londres, je n’avais jamais écrit dans le genre « gothique », ni de la fiction historique, mais avec l’aide de « Sherlock Holmes », j’y arriverais peut-être. « Enola » se présenta pratiquement spontanément à moi.
A la question de savoir si Enola Holmes, un personnage fort et digne d’admiration, est purement imaginaire ou est-elle basée sur des personnes que connaît la romancière, la réponse est « Enola c’est moi ! Nous avons eu toutes les deux la même enfance, choyée et libre ; moi aussi je passais mon temps dans les champs, les bois ; j’adorais lire et faire de la bicyclette. »
Tout comme Mrs. Eudoria Holmes, la mère de Nancy Springer était une artiste peintre ; Nancy avait aussi deux frères beaucoup plus âgés qu’elle, et bien que la mère de Nancy ne quitta pas la maison lorsque sa fille atteignit ses 14 ans, elle sembla se désintéresser d’elle, ayant ses propres préoccupations.
Oui, il y a vraiment beaucoup de Nancy Springer en Enola Holmes, surtout dans le premier opus.
La question suivante porte sur la comparaison entre Enola et Sherlock, et leur ressemblance. Comment équilibrer le caractère de l’une afin de ne pas en faire un « clone » de l’autre ? Réponse « Il est vrai qu’Enola ressemble énormément à Sherlock Holmes, même esprit logique, peut-être moins douée pour la déduction, mais c’est parce que moi Nancy Springer, je n’ai pas le talent de Conan Doyle. L’avantage d’Enola sur son frère, est le fait qu’elle connaît et comprend la nature féminine, ce que lui a décidé d’ignorer une fois pour toutes. Rien que le fait qu’elle soit une fille est une différence fondamentale entre les deux personnages.
Vous avez fait pas mal de recherches concernant la période historique dans laquelle sont situées les aventures d’Enola Holmes – exact ! j’ai passé des heures à lire, pas seulement des livres d’histoire, mais des biographies, des romans situés à la même époque ; j’ai consulté des sites internet et des photos.
Sur le net on trouve énormément d’informations sur l’ère victorienne et plus particulièrement sur les ateliers, les asiles d’aliénés, les orphelinats. Le plus difficile fut de ne pas mêler l’ère victorienne américaine à l’ère victorienne britannique, comme en architecture par exemple – ces deux périodes, bien que similaires en temps, sont différentes.
Les aventures d’Enola Holmes ont généré énormément de lettres, à la surprise de l’auteure, émanant de lecteurs adultes. En fait, toutes les réactions des adultes au personnage furent très enthousiastes, non pas que les jeunes ne lisent pas les romans, mais ce sont les adultes qui sont les plus emballés.
Bien que Nancy Springer ait eu envie d’écrire pendant très longtemps les aventures de sa jeune héroïne, c’est cette dernière qui mit fin à ses aventures = elle grandit, change, développe son caractère, et se rapproche de son frère Sherlock – c’est la raison pour laquelle le 6ème livre de la série est le dernier. Bien que cela peine très fort sa créatrice, celle-ci est heureuse qu’il y ait une vraie structure dans la série.
Avant de mettre fin à cette interview, avez-vous un conseil à donner à un/une aspirant(e) écrivain(e) ?
Vous savez, si Hemingway avait fait partie d’un groupe de critiques littéraires, ils lui auraient dit de cesser de commencer ses phrases par des prépositions ! Tant que vous n’êtes pas publié, vos lecteurs – éditeurs compris – vont tenter de vous faire modifier l’unique aspect de votre écriture – la seule caractéristique qui en réalité fait de vous l’écrivain que vous êtes. Ils vont tenter de vous faire abandonner la seule réelle caractéristique de votre écriture que vous devez développer.
Avoir confiance en soi, est le maître mot.
(chronique traduite et adaptée de l’interview de Nancy Springer pour « Books for Sale »)