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mon bonheur est dans la ville
10 juin 2020

LES ETANGS DE HOLLANDE, de Dominique Saint-Alban

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Lorsqu’elle sort du coma, Cécile ne sait plus qui elle est, elle ne se souvient de rien de ce qui fut sa vie avant un accident automobile – sa voiture, dérapant sur le verglas,  est entrée dans un châtaigner, tout près des étangs de Hollande.
Qui fut-elle ? et qui est ce François qui dit être son mari, mais qu’elle va rapidement ressentir comme un geôlier, parce qu’il est sans arrêt à l’affût de ce qu’elle fait, ne comprend-t-il donc pas que ce n’est pas en la harcelant, en lui demandant « et ça, tu ne t’en rappelles pas ? » qu’elle arriver a à quelque chose. Elle ignore même qu’elle a une fille de 10 ans, Perrine, qui est à Bordeaux chez la mère de François.

Par où commencer, par quoi commencer pour retrouver le fil d’une existence que chacun s’entend à lui dire qu’elle était heureuse ?  Cette Cécile est pour elle une étrangère, François est un étranger – elle va exiger de lui que lorsqu’il lui parlera de leur existence passée, il dira « elle » et non pas « tu », car elle n’est pas Cécile, pas encore.
Un bout de tissu rugueux et noir, la djellaba de son père, ramène soudain les souvenirs de son enfance, et cela s’arrête hélas à ses seize ans. Elle sait enfin qu’elle a quitté l’Algérie au moment où l’on rapatriait tous les Français, elle a rejoint son oncle et sa tante en France, mais sa mère de santé fragile est tombée malade et morte avant le retour, et son père s’est laissé mourir de chagrin.
Au moins a-t-elle ses souvenirs-là, ceux de la Villa Blanche, où elle arrosait les plantes,  où elle nourrissait les chiens errants, mais ça c’était « avant ».

Cécile part seule à Bordeaux, pour voir sa fille, qu’elle ne reconnaît pas, qu’elle bouleverse, mais un soir elles dorment blotties l’une contre l’autre et Cécile reconnaît sa fille, pas les années d’avant ses dix ans, mais la douceur de la peau, le souffle chaud dans son cou pendant son sommeil. La jeune femme poursuit sa fuite, on a envie de dire « en avant », mais non ici c’est une fuite en arrière, comment expliquer sinon cette faim de savoir.

Le  docteur Mercier, médecin traitant de Cécile, comprend l’impatience qu’elle a de faire que ce qu’il appelle les tiroirs de sa mémoire s’ouvrent, tout comme il comprend l’impatience de François Rohanny à retrouver l’épouse perdue, il ne peut que leur conseiller d’attendre avec le plus de patience possible qu’un parfum, un détail de lieu, ou comme un bout de tissu, fasse remonter un souvenir, qui en amènera d’autres. Il traite régulièrement des amnésies, et ce qu’il rencontre à chaque fois effectivement est cette impatience, ce tourment. Il peut comprendre, mais c’est tout.
Les médicaments pour dormir ne sont pas une bonne panacée, pour le médecin mieux vaut rester éveillé, afin d’éveiller des moments sensoriels.

Lorsque François la retrouve dans un petit hôtel où elle tente de se retrouver, malgré son terrible besoin d'être seule, elle accepte de le suivre.
Il l’emmène chez Louise, une brasserie où ils allaient souvent. Louise comprend, elle sait que Cécile n’est pas partie en Grèce ; elle leur offre de trinquer « A maintenant. Sans hier. Sans demain. »

François est photographe de cinéma, il commence à lui parler de son métier et comment ils firent connaissance, lui et « elle » à Antibes ; comment grâce à la scripte Josepha, « elle » s’intéressa à ce travail et Josepha la prit sous son aile.
« Elle travaillait donc avec toi ? »
Peu à peu le « elle » va se changer en « je », mais cela ne ramène pourtant pas tout à la surface. Même faire l’amour avec François ne ramènera pas le souvenir de son corps d’avant.

Et qui est cet homme qu’elle a aperçu s’appuyant sur lui, la jambe plâtrée ? Pourquoi a-a-elle un vague souvenir de ne pas avoir été seule dans cette voiture ?

Ce que j’en pense = quoi de plus angoissant que d’avoir un écran blanc en guise de mémoire – Cécile utilise cette métaphore lorsqu’elle tente d’expliquer à sa fille ce qu’est sa mémoire au moment où elle lui parle.

L’histoire m’a prise à la gorge dans les années 1970, lorsque je découvris l’adaptation cinématographique – je n’avais pas cherché le roman à l’époque, mais l’histoire s’était implantée dans la mienne de mémoire jusqu’à ce qu’au détour d’une boîte à livres, je découvre le roman !
Cela peut sembler ridicule mais j’ai pris le livre, les mains tremblantes, je l'espérais depuis si longtemps - et je me suis immédiatement mise à la lecture en rentrant chez moi – je pensais le lire en quelques heures, car peu de pages, mais l’histoire m’a donné envie de le lire lentement, feuille à feuille pour paraphraser une revue universitaire paraissant tous les quadrimestres.

La manière dont s’exprime l’angoisse de l’héroïne, mais aussi de son entourage, de sa fille qui a peur parce que sa mère l’a oubliée, de cet homme qui est amoureux d’une femme qu’elle était et qui s’accroche à ses souvenirs parce qu’il a trop peur de la perdre.
L’une des plus belles phrases du roman, à mes yeux, est celle de Louise, la propriétaire de la brasserie = Buvons, A maintenant, Sans Hier, Sans Demain.
On devrait tous être capables de vivre comme cela, ce fameux moment présent dont parlent les bouddhistes, car avant est passé de toute façon et s’y accrocher est une perte de temps.
C’est sûrement vrai, quand on a de la mémoire, mais quand on a un écran blanc à la place de souvenirs, c’est nettement moins facile – on ne se reconnaît pas dans un miroir, on regarde cette inconnue que vous êtes, vous  ignorez si vous étiez gentille, ou pas ; appréciée, ou pas. Lorsque mon mari mourut, je me suis accrochée à mes souvenirs pour survivre, maintenant je peux oublier, le travail de deuil est terminé.

Mais quand on n’a aucun souvenir, comment apprécier le présent ?

C’est un magnifique roman d’amour, à une voix d’abord, puis toutes les voix s’élèvent, y compris celle de Cécile. C’est aussi un thriller, car qui est cet homme dont François a peur ?
C’est aussi un roman sur l’angoisse, sur la vie que l’on a perdue, que l’on a peur de perdre, sur la souffrance qui engendre l’égoïsme.

J’ignore si tous les livres écrits par cet auteur sont de ce niveau, mais si c’est possible, j’aimerais en découvrir d’autres.

Anecdote = les étangs de Hollande existent réellement, ce sont une série d’étangs artificiels dans les Yvelines. Ci-dessous l’étang principal.

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Dominique Saint-Alban est le pseudonyme de Jacques Tournier, écrivain et traducteur, né en 1922 et décédé en mars2019. Son roman le plus célèbre, une saga en fait, est « Noëlle aux Quatre-Vents », qui fut aussi un grand succès en série télévisée dans les années 1970. Grand amateur de littérature américaine, Jacques Tournier a été l’un des premiers traducteurs de « the Great Gatsby ».
Il a consacré une biographie à Carson McCullers (Qui êtes vous Carson McCullers), à Zelda Fitzgerald (Zelda),  il a également traduit la correspondance de Truman Capote.

Ce roman « les Etangs de Hollande » a été publié en 1977 (certains disent 1978) – le cinéma s’en est emparé grâce à Michel Drach & Peter Uytterhoeven, scénariste qui travailla beaucoup avec Claude Lelouch. Le film de Michel Drach, intitulé « Le Passé Simple » avait pour interprète Marie-José Nat qui donnait une dimension émouvante et exprimait à la perfection les angoisses de Cécile. 

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Commentaires
A
Ah mais oui, "Noëlle aux quatre vents" que j'ai dû lire à l'époque. Je n'en ai plus aucun souvenir et je n'ai pas relu l'auteur.
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H
Tu parles de ce livre avec tant d'émotion que déjà je suis conquise ! Et ta réflexion sur ce maintenant qui n'a de sens que détaché d'un avant et un après peuplés de souvenirs et de projets est absolument passionnante !<br /> <br /> Et last but not least, ce livre est en français 🤗<br /> <br /> Je le mets dans mes lectures urgentes 😊 Merci Niki !!!
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