ZENON L'INSOUMIS, de Françoise Levie
Entre Marguerite Yourcenar & André Delvaux
Scénario de Françoise Levie & Luc Jabon
Réalisation de Françoise Levie
En 1968 paraît ce magnifique roman de Marguerite Yourcenar, « l’œuvre au noir », un appel à la tolérance, l’histoire d’un humaniste trop en avance sur son temps, menant un combat perdu d’avance contre les religieux de toutes sortes, et notamment ceux qui ont décidé sa perte.
En 1988 sort l’adaptation cinématographique réalisée par le cinéaste belge André Delvaux, dont ce sera la dernière réalisation. Delvaux tenait particulièrement à adapter ce roman, surtout la partie où il revient vers Bruges, vers son pays natal, qui est alors sous la botte du roi d’Espagne. Il veut faire de Zénon un résistant à l’inquisition – dans son film apparaissent des acteurs connus, dans des rôles très courts.
Comme le dit le sous-titre de ce documentaire se situant entre fiction et document, raison pour laquelle on l’a défini de « documentaire atypique », le cinéaste contacte la romancière vivant aux Etats-Unis afin de lui expliquer son projet.
S’en suivra alors une correspondance basée non seulement sur le choix de l’acteur qui sera « Zénon », mais aussi les détails sur les lieux de tournage, les rencontres, l’admiration que porte Delvaux à Yourcenar.
Tout au long du film, entre les extraits du roman lus par Marie-Christine Barrault, qui prête également ses traits à Marguerite Yourcenar , et aussi les extraits de la correspondance entre ces deux phénomènes intellectuels et culturels, le spectateur accompagne l’acteur belge Johan Leysen qui met ses pas non seulement dans ceux d’André Delvaux pour les repérages, mais qui est aussi le comédien qui joua le rôle du geôlier dans l’adaptation de « l’œuvre au noir » - dans laquelle joue aussi d’ailleurs une jeune Marie-Christine Barrault.
En dehors de ce film-là, ces deux comédiens ont aussi tourné dans d’autres films d’André Delvaux.
Ainsi nous découvrons, toujours au fil de la correspondance, la maison de Delvaux à Linkebeek (périphérie bruxelloise), un bref passage à Bruxelles, à la « Fleur en papier doré », un lieu qui a été apprécié des artistes belges de tous temps, avec un petit détour par la cinémathèque (rebaptisée Cinematek).
Des images aussi de la maison de Marguerite Yourcenar où Marie-Christine Barrault lit alternativement des extraits du roman et les lettres qu’elle écrivit à André Delvaux, pour le suivi du tournage, du personnage.
Le documentaire propose aussi des images du tournage, de belles photos de Bruges, de la mer du nord et quelques toiles en alternance de Pieter Brueghel et Hieronymus Bosch.
A Rome, Johan Leysen rencontre Angelica Ippolito, la comédienne italienne qui fut pendant dix ans la compagne de Gianmaria Volonte, qui finalement fut choisi pour être « Zénon » au cinéma – cela donne un émouvant moment sur la manière dont ce magnifique comédien italien, l’un des tout grands noms de la scène et du cinéma italien.ne, se prépara au rôle.
C’est à la fois émouvant comme document, mais aussi quelque peu distant, je dirais « académique », peut-être parce que je n’ai pu me sortir de la tête que j’avais là à faire à deux personnalités formidables, voire extraordinaires, reprenant vie grâce à ce film documentaire.
Le film se termine sur la sépulture de Marguerite Yourcenar et une promenade méditative de Johan Leysen dans le joli bois de Hal, en pleine période de floraison des jacinthes des bois (endymion).
En tout cas, je le recommande vivement, pas seulement pour les « fans » de cinéma et littérature comme moi, mais pour tous ceux qui auraient envie de découvrir deux monstres sacrés à la fois du cinéma et de la littérature qui discutent par correspondance interposée sur la manière dont chacun conçoit le personnage de « Zénon ».
On demande, dans les critiques du film, comment ce médecin, philosophe, alchimiste (et surtout fictif) peut-il nous aider à appréhender son époque ? je ne peux que recommander la lecture du roman, mais chacun répond à une question à sa propre manière, chacun a sa réflexion personnelle, comme les « protagonistes » principaux du documentaire.
Françoise Levie est réalisatrice, productrice et autrice de documentaires – elle est née en juin 1940 – son père Pierre Levie fut le producteur du film « Malpertuis ».
En dehors de documentaires, Françoise Levie a aussi publié de ouvrages en rapport avec le cinéma et la littérature belge, notamment à propos de Jean Ray, auteur de Malpertuis.
Elle a commencé sa carrière à la RTBF, dans le service « Enquêtes & reportages ».