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mon bonheur est dans la ville
10 février 2017

EVE, de Marek Halter

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Nahamma, fille de Lemec’h (ou Lamech selon les écrits) et de Tsilah les descendants de Caïn, vit dans la cité d’Hénoch, bâtie par leur ancêtre. Lemec’h est aveugle et pourtant, un jour il va à la chasse avec un jeune garçon à qui il ordonne de tirer une flèche sur ce qu’il pense être un animal – en fait il s’agit de Caïn, l’un des grands Ancêtres, en compagnie de Tubal, le fils de Lemec’h, à  qui Caïn enseigna l’art de la forge, donc des armes.

Un immense tourment secoue alors la communauté d’Henoch dans le pays de Nôd où Caïn se fixa avec Awan, sa sœur, son épouse, la mère de ses enfants. Un pays à l’est de l’Eden, une terre aride, où rien ou presque ne pousse, où l’eau est rare. Lorsqu’arrive Awan, la Grande Mère, qui a appris la mort de Caïn, elle a une terrible prédiction pour Nahamma, une prédiction qu’elle ne lui dit qu’à elle = elle doit se rendre à l’ouest, vers les Grands Ancêtres, car elle Nahamma, elle seule échappera à la terrible colère et au châtiment qu’Elohim prépare aux humains.
Elle seule sera sauvée, mais elle ne doit confier ce secret à personne.

Malgré tout, ce secret est tellement lourd à porter pour la jeune fille, qu’elle en parle à sa mère – Tsilah est une mère aimante, elle garde le secret de la Grande Mère, mais lorsque Lemec’h cause la destruction d’Hénoch et des idolâtres qu’il a provoqués, elle confie qu’il faut accompagner Nahamma vers l’ouest, où vivent Adam et Eve.
Pour éviter les dangers d’un tel périple à Nahamma, Tsilah conseille à qui le veut de venir avec elles.

Après de multiples tourments, de grandes peurs dues aux bêtes féroces, après avoir manqué mourir de soif et de faim, Elohim place une oasis sur leur route, ce que l’un d’eux qui a connu les temps anciens dit être un morceau de l’Eden.
Lorsqu’enfin, la petite troupe arrive de l’autre côté de l’un des grands fleuves, dans une terre fertile, ils sont recueillis par Seth, 3ème fils d’Adam et Eve, conçu après le bannissement du Jardin, conçu à l’image d’Adam, pour le consoler de la perte d’Abel, son fils préféré.
Seth, accompagné de son fils Noah,  se prend rapidement de dégoût pour les rescapés d’Henoch et, le moment de surprise passé, montre à l’égard de Nahamma une hostilité que nul ne comprend, jusqu’à ce qu’arrivent les Grands Ancêtres.
Et la révélation de ce qui se passa réellement ce jour-là dans le Jardin de l’Eden.

Je me demande parfois si ceux qui rédigent des résumés lisent les livres dont ils parlent car contrairement au résumé (ici) de Babelio, ce n’est pas Seth (le dernier fils d’Adam et Eve) qui prendra la défense de sa mère Eve face à ceux d’Hénoch, mais bien le fils de Seth Noah, celui à qui YHVH-Elohim destine la belle Nahamma.

Cette parenthèse ouverte et fermée, revenons à ce récit biblique réinterprété par Marek Halter.
Celui-ci est un formidable conteur, comme l’un de ces conteurs des temps révolus, passeurs d’histoires, en un temps où le verbe n’était pas encore écrit, et qui allaient de village en village pour apporter ces histoires qui s’adaptent au fil des conteurs.
Comme le firent les bardes celtiques ou les aèdes grecs. Tout comme ces conteurs  qui du moyen-âge aux temps plus récents étaient invités à la veillée pour amuser ou faire frémir dans les chaumières.

Que l’on ne se méprenne pas sur mon objectif = il n’est pas question pour moi, avec mon interprétation de cette lecture, de mépriser ou me moquer des croyances de personnes qui ont la foi.
Je ne l’ai pas, du moins pas au travers de la bible qui pour moi n’est qu’un livre de contes et légendes comme les récits grecs concernant la guerre de Troie ou les légendes arthuriennes.
Beaucoup le disent = la bible, c’est mieux qu’un thriller, on y parle d’inceste, de viol, de meurtre, j’en passe et des meilleures.
Les fils se révoltent contre les pères, les frères convoitent leurs sœurs, et par-dessus tout ça, on en accuse une seule et même personne EVE, la mère de tous, celle par qui le scandale arriva.

Mais je trouve formidable cette réinterprétation d’un mythe « vieux comme le monde » ; il me plaît énormément que Marek Halter fasse d’Eve une femme grâce à qui le monde connaît la curiosité, l’imagination – alors qu’Adam, persuadé de sa perfection puisqu’il a été fait à l’image de dieu, se complaît dans la « perfection de l’Eden », il trouverait parfaitement normal de s’ennuyer ferme jusqu’à la fin des temps ; pourquoi penserait-il autrement d’ailleurs = les fauves lui obéissent, les animaux se laissent manger quand il a faim, les fruits se mettent à sa portée lorsqu’il à soif, pourquoi se fatiguer…

Cette manière de réhabiliter celle que l’on considère comme la pire bonne femme de tous les temps, séductrice, pécheresse, désobéissant aux ordres, m’a énormément plu.
Eve, qui apparaît fort tardivement dans le récit, n’est pas uniquement une femme de grande beauté, elle est aussi drôle, intelligente, compréhensive surtout.

Eve pose la bonne question = puisque YVHV est celui qui voit tout, qui sait tout, pourquoi leur a-t-il dit sciemment de ne pas toucher à l’arbre de la connaissance ? pour se jouer d’eux évidemment – il n’aurait rien dit, que cet arbre ne les aurait même pas intéressés. Seulement voilà, les dieux (ou le dieu) aiment se jouer des humains, ce sont des marionnettes qu’ils aiment agiter en guise de distraction (mettez vous à leur place, que ce soit au ciel ou sur le mont Olympe, on s’ennuie ferme si les humains ne servaient pas à les amuser).

Les humains vivent dans la nostalgie du paradis perdu – qu’y a-t-il de plus simple que d’en blâmer une femme – mais personne ne l’a obligé ce veule Adam à mordre dans ce fruit défendu. Il pouvait refuser, mais non, c’était un faible, c’est Eve qui l’entraîna.
Personnellement je ne trouve pas que cet Eden soit si idyllique = ne pas pouvoir en sortir, ne pas pouvoir faire ci, faire ça – bonjour l’ennui !

Quant à la lutte fratricide de Cain et Abel, c’est aussi YHVH qui en est responsable puisqu’il a méprisé l’offrande peu appétissante de Caïn, par rapport à l’offrande d’Abel. Ce doit être ça qu’on appelle « diviser pour régner ». 

Ce roman de Marek Halter est une formidable épopée, pratiquement un « peplum biblique » digne de la tradition hollywoodienne.
L’homme est un tel habile conteur que l’on sent la soif et la faim nous gagner, de même que la peur, lorsque la petite troupe de l’est doit traverser les déserts vers l’ouest ; on y partage leur étonnement face à l’oasis, face aux grands fleuves qu’ils ne connaissent pas et qu’ils ne savent comment franchir, leur terreur aussi lorsqu’ils tentent la traversée.

En conclusion, que l’on soit croyant ou non, mais si l’on apprécie les contes et légendes, il ne faut pas passer à côté de la réécriture de l’histoire des « femmes de la bible » comme l’a conçue Marek Halter.
Cela se lit très vite parce que la manière de raconter est très vivante et on envie d’en savoir plus. 
Le récit est fait à la première personne par Nahamma, le vocabulaire et le style riches et vivants.

Pour la petite histoire, Caïn est aussi à l’origine de la détestation que l’on aura à travers les siècles à propos des roux, puisqu’il avait les cheveux « couleur de crépuscule », comme Eve (avant d’avoir mes cheveux gris/blancs, j’avais des reflets roux dans les cheveux, serais-je une sorcière-fille d’Eve – certains visiteurs/teuses de mon blog n’hésitent pas à le penser en me traitant de diable tentateur de livres =^-^=).

Comme vous le savez certainement, l’histoire de Caïn et Abel a été de multiples fois adaptées par les écrivains (et le cinéma) = A l’est d’eden, de John Steinbeck – Caïn de José Saramango – Caïn et Abel, premier crime de Max Gallo (liste non exhaustive). Des opéras, pièces de théâtre, se sont aussi emparés du mythe, pour en faire des réécritures.
Quant aux frères ennemis, il n’y eut pas que Caïn et Abel – pensez à Romulus et Remus, Osiris et Seth.

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Commentaires
A
Je le note ! Mon prof de religion en primaire nous parlait d'Adam et Ève chaque année, à tel point qu'il a fini par m'en dégoûter. Mais ça peut être intéressant de la découvrir autrement.
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L
Je me laisserais bien tenter après votre chronique... :)
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A
Je n'ai pas lu Marek Halter depuis une éternité. C'est vrai que c'est un bon conteur.
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T
Donc si telle Eve tu avais les cheveux « couleur de crépuscule », tu es donc notre Eve des temps modernes, la nouvelle Eve ;)
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