LES SILENCES DE SPILLIAERT, de Wilbur Leguebe
LES MARDIS DE L'ART
dans le cadre de la thématique 2013-2014 =
l'aventure artistique, une quête obstinée
# 3
LES SILENCES DE SPILLIAERT, de Wilbur Leguebe
Scénario de Wilbur Leguebe et Serge Meurant, plus deux autres co-scénaristes
Musique de Georges van Dam - accompagnée de mouvements au violoncelle
Source des illustrations = photothèque google
Rien ne pouvait plus me plaire que de découvrir de moyen métrage consacré à celui que je nomme toujours le « grand Spilliaert » - ce peintre m’interpelle depuis de très longues années – j’aime ses plages souvent vides, où seules se mirent les lumières de la nuit. J’aime ses personnages solitaires, mais pas nécessairement seuls, reflétant à la perfection le côté solitaire du peintre.
Le réalisateur Wilbur Leguebe, enseignant à l’ERG (Ecole de Recherche Graphique) explique avoir eu envie de parler de Léon Spilliaert après avoir vu, au cours d’une exposition à Bruxelles, ce portrait d’une « Femme dans un train ».
Un très beau texte accompagne le film, le narrateur-commentateur s’adresse « directement » au peintre, et ainsi « indirectement » c’est le spectateur qui s’adresse aussi à l’artiste.
Promeneur inlassable, insomniaque, ses promenades ressemblent à des errances méditatives – la lumière d’écume arrive sur la plage – sa peinture ressemble à un rêve éveillé.
Homme fort discret et secret, Léon Spilliaert est né à Ostende en 1881 d’une mère tendre et mélancolique et d’un père violent et exalté – j’ai l’impression qu’il faut chercher là, parfois, l’explication à cette âme pleine d’introspection (n’étant pas psy, ceci n’est qu’un avis).
Son père était parfumeur, fournisseur de la cour de Léopold II – c’est là que Spilliaert vécut une grande partie de sa vie, ayant un atelier dans la maison parentale.
Il peignit quelques belles natures mortes, de flacons et boîtes, probablement inspirées par ce qu’il voyait dans le magasin de son père.
L’Ostende actuelle n’a plus grand-chose à voir avec les images de jadis, de celle qu’on appelait « la reine des plages » -James Ensor peignit « les bains de mer » en y montrant une foule joyeuse, qui n’est pas sans rappeler les dessins de Dubout.
Pour le jeune Spilliaert tout va bien jusqu’à l’entrée à l’école. De son enfance et surtout de l’école il aura ces mots que je trouve atroces, car combien d’enfants ne l’ont pas aussi ressenti =
« De mon enfance je garde un souvenir ébloui jusqu’au jour où l’on me mit à l’école. Depuis lors, on m’a volé mon âme et plus jamais je ne l’ai retrouvée.
Cette douloureuse recherche est toute l’histoire de ma peinture »
Après un passage à l’académie des beaux-arts de Bruges, Léon Spilliaert quittera celle-ci assez rapidement – il préfère devenir autodidacte. De toute façon, il a pris en aversion tous les types de professeurs.
Parfois il semble considérer le monde comme un ennemi, de là qu’il ne sorte qu’à la nuit ; ce comportement surprend et est un objet de scandale au sein de la société bourgeoise.
Il se peindra souvent dans un miroir, regardant par-dessus son épaule. Ses autoportraits montrent un regard qui transperce celui qui le regarde, parfois de manière hallucinée.
Son autoportrait de 1908 est directement inspiré par ce « Christ » d’Odilon Redon, un artiste qui aura une influence certaine sur Spilliaert.
L’éditeur Deman qui engage beaucoup d’artistes pour les couvertures de ses éditions fera appel à Léon Spilliaert pour l’illustration de « Pelleas & Melisande », que le jeune artiste dessinera directement sur l’exemplaire de Deman. Il se sentira toujours proche de l’œuvre de Maurice Maeterlinck.
Edvard Munch l’inspirera aussi et lui-même, plus tard, inspirera Giorgio di Chirico et son art métaphysique.
Toute l’œuvre de Léon Spilliaert semble illustrer une tristesse de l’âme, une mélancolie de la pensée, telle que l’expriment Lautréamont, Mallarmé.
« Toute parole est un préjugé » disait Nietsche, et Spilliaert adhère à cette citation.
A un certain point, il aimerait tout détruire de ce qu’il a déjà peint, se libérer de la vie en quelque sorte et partir vivre à la campagne où il estime qu’est « la vraie vie ».
Tout au long de son existence, Léon Spilliaert rêvera de voyages, jamais il ne partira malgré son bagage toujours prêt. Un rêveur de voyages jamais accompli nous dit le commentateur, tout comme on a l’impression que le peintre n’est pas totalement accompli non plus.
Sa peinture est un repli sur soi, la plage se fait parfois sinueuse, comme un serpent.
Techniquement, Léon Spilliaert n’utilisera que la gouache, parfois l’aquarelle, mais surtout le fusain et les lavis d’encre de chine.
Après son mariage en 1916, qui fut heureux, il se mit à peindre à l’huile – et sa peinture d’alors sera une complète rupture avec les œuvres de jeunesse.
Comme si la naissance de sa petite fille Madeleine, avait enfin apporté la joie dans ce cœur mélancolique. Beaucoup de critiques artistiques estiment que sa peinture est moins « intéressante » à partir de cette époque – pourtant, inlassablement, l’artiste est en recherche et ses nombreuses études sur les arbres en attestent.
En 1932, enfin il voyage, en compagnie de sa fille, en Italie, Suisse et Autriche.
Il est décédé en 1946 à Bruxelles. Il est aussi assez surprenant de constater que bien que Léon Spilliaert soit totalement associé au mouvement symboliste belge, lui-même ne supportait guère cette étiquette.