THE LAST QUEEN, de C.W. Gortner
Ce roman (j’insiste là-dessus) est le journal écrit par la reine Jeanne Ière de Castille, que l’histoire a retenu sous le surnom de « Juana la Loca » (Jeanne la Folle).
Biographie fortement romancée, elle n’en contient pas moins beaucoup d’éléments basés sur les archives historiques concernant cette reine au destin tragique qui traversa brièvement nos contrées, qu’elle n’apprécia que modérément, son cœur étant resté en Espagne, ce que d’ailleurs son époux Philippe de Habsbourg, surnommé « le Beau » lui reprocha aussi.
L’histoire de Jeanne d’Espagne - 3ème enfant d’Isabelle la Catholique et Ferdinand d’Aragon, sœur aînée de Catalina, mieux connue sous le nom de Catherine d’Aragon, 1ère épouse d’Henry VIII – commence sous le feu et le sang, puisque sa mère revenait brièvement au palais pour accoucher puis reprenait sa croisade contre les Maures. La Reconquista de Grenade en 1492 se termina lorsque Juana avait treize ans.
La seconde des filles, elle était aussi physiquement la plus différente = son frère, l’infant Juan, sa sœur Isabella veuve de l’infant du Portugal et sa petite sœur Catalina étaient tous blond vénitien, à la carnation claire et yeux bleus, et plutôt de petite taille – Juana, seule était une belle grande jeune fille, aux longs cheveux auburn et aux yeux bruns, comme son père, Ferdinand d’Aragon, qui affirmait la préférer à ses autres enfants.
Jusqu’à ce qu’évidemment il préféra lui voler sa couronne de Castille et la faire enfermer sous prétexte de folie.
Il est vrai que Juana, jeune, montrait déjà pas mal de résistance aux règles établies – très intelligente, érudite, connaissant plusieurs, langues, excellente écuyère, elle n’était pas non plus soumise comme ses frère et sœurs, n’hésitant pas à questionner sa mère, Isabelle de Castille, peu habituée à être contrariée.
Elle n’eut cependant pas le choix = elle fut mariée à 16 ans (et non 18 comme écrit sur wikipedia) à Philippe de Habsbourg, prince de Bourgogne, comte de Flandres, dans le but évident de réunir les couronnes de Bourgogne et d’Espagne, afin d’accentuer le pouvoir espagnol. Avec l’Autriche des Habsbourg et la Bourgogne attachés à l’Espagne, la France était encerclée par des puissances alliées ; la raison du mariage de la jeune Catalina avec l’héritier de la couronne d’Angleterre n’avait d’autre but que d’ « encercler » la France.
Le mariage de raison tournera au bonheur pour le jeune couple Jeanne/Philippe au début de leur mariage – lui, grand séducteur, très bel homme (ergo « le Beau ») il plut rapidement à cette jeune femme passionnée. Pendant 4 ans, leur mariage fut un mariage d’amour – mais un séducteur ne se refait pas, et sous prétexte que son épouse était enceinte et qu’il est logique pour un prince d’avoir des maîtresses, Le Beau reprit ses habitudes donjuanesques, provoquant chez sa jeune épouse des crises aiguës de jalousie – elle n’hésita pas à agresser les maîtresses de son mari.
Le fossé se creusa entre les époux et le mariage d’amour devint un mariage de haine, haine accentuée par le mépris que le prince se mit à témoigner publiquement à son épouse, n’hésitant pas à l’humilier. Lorsque mourut Isabelle de Castille, le sort de Jeanne, héritière en titre, fut scellé = Philippe de Habsbourg ne pouvait tolérer de ne pas être le seul roi régnant, son épouse à ses yeux venant en second.
Jeanne ne put compter que sur l’aide de l’une de ses suivantes, pendant que les courtisans, les grands d’Espagne, tous complotaient, changeant d’alliances au gré de leurs propres intérêts.
L’un de ses ennemis, le plus acharné, fut le conseiller de Philippe.
Son père Ferdinand était bien décidé à entrer en guerre contre Philippe de Habsbourg lorsque celui-ci mourut de fièvre typhoïde ; même si on ne le fit pas ouvertement, Jeanne fut soupçonnée de l’avoir empoisonné. Séparée de ses enfants depuis de longues années, Eleonore (future seconde épouse de François Ier) et Charles (futur Charles Quint) se comportaient comme des étrangers avec elle ; seule la petite Catalina demeura auprès d’elle, jusqu’à ce que la maria à l’âge de 16 ans.
Jeanne était la légitime reine d’Espagne après sa mère et la mort de l’infant Juan. On lui vola littéralement sa couronne.
Lorsque son fils Charles V monta sur le trône, il fit en sorte que l’enfermement de sa mère se poursuivit pendant 49 années, jusqu'à son décès.
L’une des multiples raisons invoquées pour la folie de Jeanne fut le fait qu’elle conserva le cercueil de son époux dans la chapelle attenant au palais.
Elle et Philippe de Habsbourg eurent 6 enfants, dont les deux fils furent empereurs et les filles mariées à des rois.
Toute la pathétique histoire de Jeanne de Castille, reine d’Espagne, est une histoire d’orgueil – celle de princes pour qui la loi salique aurait dû être d’application partout, et pas seulement en France, empêchant ainsi une femme de monter sur le trône. C’est une histoire d’intrigues de cour, d’alliances qui se font et se défont au gré des intérêts des puissants.
L’auteur, C.W. Gortner, est un écrivain américain, spécialiste de la Renaissance. Ayant du sang espagnol dans les veines, Gortner s’est intéressé de près à une reine à qui sa famille et l’histoire ont fait pas mal de tort, à commencer par la séparer de ses enfants et ensuite l’enfermer sous prétexte de « folie héréditaire ».
Il est vrai que la famille d’Espagne a une longue histoire de consanguinité et on pense que Juana a eu la malchance d’hériter des symptômes de schizophrénie qui frappèrent sa grand-mère maternelle. Sa réclusion dans le couvent Santa Clara de Tordesillas accrut fortement sa tendance maniaco-dépressive, la solitude provoquant des crises de paranoïa.
Il est avéré historiquement que son père et son mari réclamaient tous les deux le royaume de Castille, à la mort d’Isabelle ; ce trône revenait de plein droit à sa fille, mais en ces temps les femmes n’avaient aucunement la parole (Marguerite d’Autriche, sa belle-sœur, est une formidable exception en ce domaine, ainsi que plus tard Elizabeth Ière d’Angleterre).
« The Last Queen » est son deuxième roman historique, le premier étant consacré aux Tudors, le troisième est consacré aux « Confessions de Catherine de Medicis ».
Il va également écrire un roman sur Lucrèce Borgia, qui sera probablement aussi romancé que celui de Jeanne.
Pour lui, ce n’est pas que la passion pour son époux qui conduisit Jeanne au bord du gouffre de la folie, pour le romancier il y a une forte part d’ombres dans cette histoire, la preuve en étant que les instances supérieures espagnoles ne permettent toujours pas l’accès à certaines archives.
J’ai bien aimé la lecture de ce « journal » - Jeanne est la narratrice de l’histoire de sa vie, bien consciente qu’elle ne fut qu’un pion sur l’échiquier politique de son époque. Une lecture-détente.
Jeanne avait hérité de l’orgueil de sa mère, elle n’en eut malheureusement pas la force de caractère et la manière dont elle fut maltraitée d’abord par son époux, ensuite par son père, puis par son fils, ne firent que la déstabiliser un peu plus.
Son histoire malheureuse, en dehors de ce roman, a inspiré cinéastes et dramaturges, en plus d'autres romanciers et historiens.
En 1869, Alexandre Parodi écrivit un drame historique en 5 actes qui fut créé à la Comédie-Française ; Emmanuel Roblès et Catherine Hermary-Vieille lui ont aussi consacré un roman.
En 2001, le cinéaste Vicente Aranda réalisa le film biographique « Juana la Loca » et le compositeur belge Paul-Baudouin Michel a écrit un opéra historique en 3 actes, avec livret en français, mais où le chœur chante aussi en néerlandais, espagnol, latin, allemand et sanscrit.
Un compositeur américain (Menotti) lui a aussi consacré un opéra.
Voir aussi ma chronique de l'exposition "Beauté & Démence à Bruges"