SOUPER MORTEL AUX ETUVES, de Michèle Barrière
Un roman noir et gastronomique à Paris au Moyen-âge
1er récit de la saga Savoisy
Messire Jehan DuFour posait trop de questions, cela lui coûta la vie dans l’étuve d’Isabelle la Maquerelle, très fière de son établissement fort bien tenu, aux mets raffinés grâce à Guillaume, cuisinier chez Taillevent. Inutile de dire que Dame Isabelle est folle de rage sur le mari de Marion, car il ne cache même pas que c’est lui qui a égorgé le noble bourgeois ; il tient à ce que ses petits trafics n’arrivent pas aux oreilles du bailli.
Lorsque la tendre Constance, sa très jeune épouse, apprend l’assassinat de Messire Jehan, elle prévient Valentine Visconti sa meilleure amie et belle-sœur du roi Charles VI, qu’elle fera tout pour découvrir le meurtrier et ira ensuite s’enfermer chez les Clarisses. Rien ne peut faire changer d’avis cette déterminée jeune femme qui estime devoir cette enquête à la mémoire d’un homme qui la tira de la misère.
Elle se fait donc engager chez Isabelle, bien qu’il y ait l’autre cuisinier en titre – mais Isabelle estime que les jours où Guillaume ne vient pas, il y a de la place pour une cuisinière et Constance, malgré son manque total d’expérience, s’inspirant du livre de son mari parvient à ravir les palais de ceux qui viennent prendre du plaisir sous toutes ses formes chez Isabelle et ses filles.
Hélas, un jour où elle vient chez Valentine Visconti et sire Eustache Deschamp afin de faire son rapport, Guillaume l’aperçoit et pensant qu’elle vient le trahir auprès du maître-queux du roi, saccage tout son matériel de cuisine et ruine ses épices. Devant tant de méchanceté Constance craque, d’autant plus que sa curiosité à accompagner les pèlerins à Compostelle a attiré l’attention du mari de la brave Marion qui s’est prise d’affection pour cette jeune femme douce qui a toujours un mot gentil pour tous ; le petit Mathias, qu’elle a tiré de la rue, le sait bien lui qui rêve de la protéger toujours. Et si elle n'y prend garde, le piège qu'elle veut tendre risque bien de se refermer sur elle. Elle suivra néanmoins les assassins jusqu'à Bruges où elle frôlera la mort de très près.
Le manuscrit « Ménagier de Paris », livre que Jean DuFour a donné à sa jeune épouse, existe réellement puisqu’un bourgeois parisien en fit cadeau à sa très jeune femme ; autour de ce fait historique avéré, Michèle Barrière a brodé cette histoire pleine d’intrigues.
J’ai découvert cet été par hasard cette série de polars historiques qui se situent dans différentes époques de l’histoire de France – celui-ci étant le 1er dans une série qui mélange habilement crimes et cuisine.
Un lexique culinaire et des recettes se situent à la fin des histoires qui mélangent personnages réels de l’Histoire aux personnages fictifs de Michèle Barrière; ici par exemple, on assiste au tristement célèbre Bal des Ardents qui ravivera la folie du roi. On y croise la fière Valentina Visconti, que l’épouse du roi, Isabeau de Bavière éloignera par jalousie. Les désordres de la cour de France raviveront la guerre de Cent Ans. Sans oublier le maître-queux du roi, Guillaume Tirel, dit Taillevent.
Une lecture plaisante - suspense qui se mélange au romanesque - et intéressante par ses détails historiques.
A propos des Etuves
Contrairement à ce que l’on s’imagine, le moyen-âge n’est pas un temps de crasse corporelle, au contraire. La preuve, ces « étuves » où l’on peut à la fois se laver, souper, et plus puisque les bains étaient installés près d’alcôves. Certaines baignoires étaient suffisamment grandes pour accueillir plus d’une personne.
Toutes n’étaient pas des lieux de plaisir comme l’étuve où cuisine la tendre Constance. Certaines sont de simples lieux où prendre un bain de vapeur, où l’on se fait laver les cheveux que l’on porte longs, se faire masser avec des onguents, se faire raser. Bien sûr, les autorités de la ville tentent d’empêcher les étuves-bordiaux, mais sans réel succès. D’autant plus que la propreté du corps est recommandée par les médecins, toutefois une certaine réglementation sera mise en vigueur.
Malheureusement, à la fin de 15ème siècle, les choses vont bien changer ; ce qui était considéré comme un bienfait pour le corps et l’âme, devient souillure et péché. Le bain devient un danger pour l’âme ; ce changement de mentalité perdurera pendant plusieurs siècles – Versailles était l’un des lieux les plus crasseux que l’on connaisse. C’est évidemment, une fois de plus, à la religion et ses principes rigides que l’on devra ces changements de mentalité, et cela jusqu’au 20ème siècle. Non seulement les rues étaient d’une saleté repoussante, mais désormais, il vaudrait mieux ne plus se laver non plus – sauf une fois par an, pour se purifier et communier à Pâques.
L’illustration choisie par « le livre de poche » pour son édition est une miniature de l’atelier de Guillaume Vrelant
Frontispice du Livre IX de Valère Maxime