FETES GALANTES – 17
Éloigné de vos yeux, Madame, par des soinsImpérieux (j'en prends tous les dieux à témoins),Je languis et je meurs, comme c'est ma coutumeEn pareil cas, et vais, le coeur plein d'amertume,A travers des soucis où votre ombre me suit,Le jour dans mes pensers, dans mes rêves la nuit,Et, la nuit et le jour, adorable, Madame!Si bien qu'enfin, mon corps faisant place à mon âme,Je deviendrai fantôme à mon tour aussi, moi,At qu'alors, et parmi le lamentable émoiDes enlacements vains et des désirs sans nombre,Mon ombre se fondra en jamais en votre ombre.En attendant, je suis, très chère, ton valet.Tout se comporte-t-il là-bas comme il te plaît,Ta perruche, ton chat, ton chien? La compagnieEst-elle toujours belle? et cette SylvanieDont j'eusse aimé l'oeil noir si le tien n'était bleu,Et qui parfois me fit des signes, palsambleu!Te sert-elle toujours de douce confidente?Or, Madame, un projet impatient me hanteDe conquérir le monde et tous ses trésors pourMettre à vos pieds ce gage - indigne - d'un amourÉgal à toutes les flammes les plus célèbresQui des grands coeurs aient fait resplendir les ténèbres.Cléopâtre fut moins aimée, oui, sur ma foi!Par Marc-Antoine et par César que vous par moi,N'en doutez pas, Madame, et je saurai combattreComme César pour un sourire, ô Cléopâtre,Et comme Antoine fuir au seul prix d'un baiser.Sur ce, très chère, adieu. Car voilà trop causer,Et le temps que l'on perd à lire une missiveN'aura jamais valu la peine qu'on l'écrive.
(watteau)