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mon bonheur est dans la ville
26 juillet 2009

LE CORBEAU, d'Henri-Georges Clouzot

587C10130251Existe-t-il quelque chose de plus lâche, de plus vil et de plus méprisable que les lettres anonymes et la délation ?

La jolie bourgade de Saint-Robin va bien rapidement découvrir le drame. Dès l’apparition de la première lettre anonyme signée « Le Corbeau » toute la ville est en émoi.

Principale victime visée par les lettres : le docteur Rémi Germain, accusé d’avortements clandestins.

Les uns après les autres, la plupart des habitants de la ville sont touchés par les lettres ; l’horreur est à son apogée lorsqu’un malade apprend par une des lettres empoisonnées qu’il a un cancer au stade terminal. Il se suicide de désespoir.

Chaque notable va recevoir une lettre, l’un des collègues du docteur Germain va même recevoir une missive qui accuse son épouse de le tromper avec Germain.

Peu à peu les soupçons envahissent tous les cœurs de la ville ; parmi les personnes les plus suspectes il y a Denise, la sœur de l’instituteur, qui aime le docteur Germain ; il y a encore l’infirmière de l’hôpital de la ville. Et pourquoi pas Germain en personne ?

Ce qui hier encore était un village bucolique est devenu l’antichambre de l’enfer pour ses habitants qui s’épient tous. La nièce de Denise est particulièrement sournoise malgré sa jeunesse ; elle passe son temps à regarder par le trou de serrure pour observer le docteur.

Finalement, c’est le médecin de l’hôpital psychiatrique, le collègue dont l’épouse, Laura, est accusée de le tromper avec Germain, qui décide de prendre les choses en main. Etant également graphologue, il sait par expérience qu’un « anonymographe » ne peut pas masquer longtemps certains traits d’écriture. Il va alors initier une journée de dictées, jusqu’à ce que le « corbeau » ne craque physiquement et psychiquement.

Saint-Robin pourra-t-il un jour se remettre de tous ces drames ?

Ce grand classique du film noir français est basé sur un fait divers authentique ayant défrayé la chronique des  années 20 : un certain nombre de personnes reçurent des lettres anonymes, qui bousilla la vie de certains d’entre eux.

Comme la police locale n’avançait guère dans son enquête, le juge d’instruction décida de faire appel à un spécialiste de la police scientifique de l’époque ; celui-ci soumit un test de dictée à 8 personnes suspectes. Le coupable se trouvait parmi elles et fut démasqué grâce à ces dictées.

Le scénario a été écrit conjointement par Clouzot et Louis Chavanne. Dans cette histoire, Clouzot n’hésite pas à provoquer : un athée, une jeune femme libre de son corps, une fillette pas très nette ; il se moque des pouvoirs publics, des notables. Il transforme la ville paisible en un lieu de haine et de misère morale.

Aucun personnage n’est ni tout noir, ni tout blanc, même pas le héros principal qui est rigide, désabusé.

Il est magistralement interprété par Pierre Fresnay, qui était effectivement un acteur formidable ; il est bien dommage qu’on ait trouvé nécessaire de l’affubler d’un accent marseillais pour la trilogie de Marcel Pagnol.

Il est ici à la limite le moins humain de tous les personnages, tout en étant le plus victime des lettres.

Celle qui l’aime, bien qu’elle n’ait été qu’un moment d’égarement physique pour lui, est jouée magnifiquement par Ginette Leclerc. En effet, dans le rôle de Denise, boîteuse, libre de son corps, elle est tour à tour émouvante  et odieuse. Je n’ai jamais beaucoup apprécié le style de cette actrice à qui l’on confiait surtout des rôles de fille légère, mais ici elle est vraiment fantastique.

Henri-Georges Clouzot était un formidable directeur d’acteurs et tous les rôles de ce film sont brillamment interprétés.

Du plus petit rôle de figurant jusqu’aux rôles principaux. Parmi ceux-ci il y a l’excellent Pierre Larquey, le médecin graphologue, époux soi-disant trompé de la belle Laura. Celle-ci est interprétée par Micheline Francey.

Dans les rôles secondaires, on retrouve Noel Roquevert, sobre et prouvant qu’il était un très bon acteur, bien loin des pitreries qu’on lui fera interpréter ultérieurement.

Héléna Manson est l’infirmière en chef, sœur de Laura, accusée dans un premier temps d’être l’auteur des lettres.

Antoine Balpêtré est l’un des médecins de la clinique, son collègue principal est joué par Louis Seigner, sociétaire de la Comédie-française.

Je citerai encore la comédienne Sylvie dans le rôle de la mère du jeune homme qui se suicide, superbe en petite mère courage prête à venger son fils.

Esthétiquement le film est formidablement bien photographié, en noir et blanc, l’influence de l’expressionnisme se fait sentir à travers tout le film : jeux d’ombres et de lumières, plans inclinés, rues désertes où fuit une âme en détresse (à la manière de Fritz Lang).

18868083_w434_h_q80« Le Corbeau » est le film de la « polémique Clouzot » à qui on reprocha d’avoir collaboré avec les Allemands pendant la deuxième guerre mondiale. H.G. Clouzot avait effectivement été engagé par le directeur allemand de la Continental Films, une société de production créée par Joseph Goebbels. Celui-ci mit à la tête de la société située à Paris un homme de cinéma qui laissa carte blanche à Clouzot et d’autres réalisateurs français. La société ne tombant pas sous la censure du régime de Vichy, Clouzot n’hésita pas à mettre dans son film des éléments violemment interdits par Vichy : athée, fille-mère, suicide, moquerie des notables.

Cependant, à la Libération, on ne pardonna pas au réalisateur d’avoir accepté d’être engagé par l’ennemi. Ce choix très discuté était effectivement discutable, toutefois Clouzot utilisera ce choix pour sauver certains de ces amis, qui risquaient la déportation. Cela ne lui sera pourtant pas porté en crédit et il sera condamné  à une suspension professionnelle à vie.

Le réalisateur sera défendu par d’autres réalisateurs, ainsi que par Henri Jeanson, scénariste et dialoguiste de cinéma. La peine fut finalement commutée en une interdiction de deux ans, mais « Le Corbeau » était interdit de distribution malgré son succès auprès du public.

C’est alors qu’Henri-Georges Clouzot tourne « Quai des orfèvres » dont le succès fut tel qu’on accepta de distribuer « Le Corbeau » dont  on se rendit très vite compte qu’il s’agit ici aussi d’un véritable chef d’œuvre. Complètement indémodable.

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