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mon bonheur est dans la ville
19 juillet 2009

ARLINGTON PARK, de Rachel Cusk

51sb7Ik7_2BcL__SL500_AA240_Dans la grande banlieue londonienne, le quartier résidentiel d’ Arlington Park abrite des couples, où l’homme travaille à temps plein ; leurs épouses travaillent soit à temps plein, soit partiel, soit sont femmes au foyer, pour qui la vie se limite à des balades au parc lorsque la pluie s’arrête de tomber, ou alors vers la grande galerie marchande pleine de boutiques de mode et snacks branchés où la nourriture est celle d’un fast food, mais seulement deux fois plus chère.

Il y a là Juliet, professeur de littérature dans le collège huppé d’Arlington, pour qui le seul moment de « respiration » hors ménage est le petit club littéraire qu’elle a fondé pour les élèves de dernière année. En dehors de cela, Juliet semble haïr la terre entière pour être devenue une sorte de potiche ménagère, elle enrage littéralement de cette « victoire » du monde masculin sur la vie des femmes ; c’est toujours pour elle un moment jubilatoire que d’obliger son époux à s’occuper de leurs enfants le jour du club.

Il y a Amanda, une véritable maniaque de la propreté, dont la cuisine immense et immaculée est le signe évident de la réussite. Elle semble vivre les gants de caoutchouc aux mains pour chasser la moindre petite tache. Amanda n’aime personne, même pas elle-même, elle ne ressent rien, même pas de la tendresse ; sa fille aînée lui ressemble déjà mais par contre son petit garçon s’obstine à lui témoigner son affection, cela la perturbe énormément.

Il y a Solly (diminutif de Solange) qui est sur le point d’accoucher de son quatrième enfant, et qui un jour a décidé de louer une pièce de sa maison afin d’avoir une petite rentrée supplémentaire, et dans le secret espoir d’avoir une sorte d’ « au pair » non rétribuée. De celles qui défileront chez elle, c’est l’Italienne Paola, jeune femme de trente ans libre et bien dans sa vie qui l’impressionnera le plus.

Il y a Maisie, nouvelle venue dans Arlington ; elle y est parce que son époux le voulait, Maisie, elle, aimait bien vivre à Londres. Ses frustrations à elle s’expriment sous forme de crises de rage absolument disproportionnées avec les faits.

Et enfin il y a Christine.

Christine c’est la méchanceté en personne, personne ne trouve grâce à ses yeux, ni ses copines et certainement pas Joe, son époux.

Elle n’a que des sarcasmes aux lèvres, qu’elle émet avec un sourire charmant. Exécrable cuisinière, elle a néanmoins invité ses « amies » et leurs époux à dîner.

L’histoire des femmes d’Arlington se situe dans l’espace d’une journée de leur existence, une journée semblable à toutes leurs autres journées, sauf que là on se prépare à un dîner chez l’une d’entre elles. Un dîner qui ressemble pratiquement à un cauchemar, où l’ironie mesquine des uns contrebalance la rosserie des autres.

51Z_2BJkIcQKL__SL500_AA240_Je trouve assez surprenant que dès qu’une romancière met des femmes en scène, on se précipite pour la comparer à Virginia Woolf.  Personnellement je commence à trouver agaçante cette manière de faire planer « Mrs. Dalloway » comme une ombre sur des romans mettant des femmes en scène. C’est enlever de l’originalité à la fois à « Mrs. Dalloway » et au livre de Rachel Cusk.

Comparer Mrs. Dalloway et Arlington Park, c’est comparer des pommes et des oranges ; les deux sont des fruits, mais la comparaison s’arrête là.

Ici nous avons, comme chez Virginia Woolf ou Gustave Flaubert, des femmes au foyer qui s’ennuient à mourir, ont l’impression de rater leur vie, de passer à côté de quelque chose, mais préfèrent déverser leur venin sur leur entourage.

Sincèrement, je ne pourrais devenir l’amie d’aucune de ces femmes, je n’éprouve aucune sympathie pour elles car elles n’arrivent qu’à récriminer, râler, elles sont fort caricaturales. Les portraits de ces « desperate housewives made in Britain » sont parfois attachants mais agaçants la plupart du temps ; quant aux hommes ils ne sont absolument pas gâtés. Il y a du féminisme primaire dans le livre.

Néanmoins, selon moi, « Arlington Park » c’est aussi autre chose qu’un portrait complexe de mères au foyer, de mères qui travaillent, d’épouses frustrées ; c’est un portrait d’une certaine classe moyenne, d’un certain intellectualisme  qui flirte avec l’ennui, les illusions perdues, le désenchantement.

31VV0XYE1ZL__SL500_AA180_Même si je ne recommande pas cette lecture par jour de pluie parce que là c’est le coup de bourdon assuré, on ne sort pas de cette lecture avec un cafard phénoménal, au contraire ; j’ai beaucoup souri malgré la plume trempée dans le vitriol de la romancière.

On sent de la part de l’auteure des élans de tendresse pour les femmes de son histoire. Elle rend parfaitement la sensation d’étouffement que subit chacune d’entre elles à des niveaux divers, celle qui en souffre le plus étant Juliet, qui a vraiment perdu toutes ses illusions, pour qui les hommes – TOUS les hommes, y compris le sien – sont de véritables assassins ; assassins d’illusion, de bonheur, qui déposent les tâches ménagères dans le giron de leur épouse, estimant que c’est de leur ressort. Bin tiens !

51L5XnoLQNL__SL500_AA240_« Arlington Park » est le septième roman de Rachel Cusk, le premier à avoir été traduit en français. Il a été nominé pour le prix « Orange for fiction ».

J’ai privilégié la version originale anglaise et je m’en réjouis car c’est très joliment écrit, le plaisir de lecture étant double du coup.

Je recommande cette lecture aux amatrices (et amateurs) de littérature anglophone.

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